
À 26 ans, Mortaza Behboudi est un journaliste au parcours épatant, malgré une enfance mouvementée. En 1996, après la prise de Kaboul par les talibans, sa famille fuit l’Afghanistan pour l’Iran. C’est là-bas qu’il grandit dans un climat difficile. « En Iran, les réfugiés sont maltraités par l’État et victimes de racisme. » À 7 ans, il travaille dans une usine de briques, avant de rejoindre une usine de tapis à 12 ans. « Je travaillais de 18 h à 6 h et ensuite, je me rendais à l’école », se souvient-il.
Très vite, il prend goût à la photographie et se rend à des manifestations pour en capter quelques instants. Jusqu’au jour où, à l’âge de 15 ans, il est arrêté pendant la révolution iranienne. « Je voulais montrer la colère des milliers de jeunes. » Il retourne en Afghanistan et décroche des stages dans des médias locaux. « Cette arrestation m’a poussé à faire du journalisme. »
Il fait ses premiers pas comme journaliste indépendant et s’inscrit en parallèle en licence de science politique à l’Université de Kaboul. Il se rend sur le terrain, couvre des attentats et prend conscience qu’il risque sa vie chaque jour.
En 2012, il obtient une bourse pour suivre une formation de trois mois en Inde, afin de se protéger en tant que journaliste reporter dans les zones de conflits. L’année suivante, il est missionné en Irak pour couvrir Mossoul pendant dix mois. « La guerre venait de débuter. Je photographiais des gens qui fuyaient la ville à cause des bombardements. C’était très dangereux. »
Travailler sous le coup de la menace
En 2014, Mortaza Behboudi couvre les attentats perpétrés à Kaboul durant les élections présidentielles et enquête sur le marché de l’opium. Mais le jeune journaliste se sent de plus en plus menacé. « Être journaliste est un crime pour les talibans et les groupes terroristes. » En 2015, il est enlevé par des hommes armés dans la province du Wardak (Afghanistan). Il échappe à la mort et fuit son pays. L’ambassade de France lui vient en aide. Il pose alors ses valises à Paris au printemps 2015.
« Quand je suis arrivé en France, je ne connaissais personne, je ne parlais pas la langue. J’ai vécu dans la rue pendant plus de deux mois. » Il est finalement accueilli par la Maison des journalistes et obtient, en décembre 2015, le statut de réfugié politique. Mais le terrain lui manque.
Il entend alors parler de la Cop21 et parvient à se faire accréditer grâce à sa carte de presse afghane. Sur place, il échange quelques mots avec Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et Justin Trudeau, premier ministre canadien, sur l’accueil des réfugiés.
Le journaliste est aux anges. Il est accepté à la Sorbonne en master relations internationales et exerce à nouveau sa profession en tant que pigiste pour Libération, The Independent, France 24 ou encore l’AFP. Une chance inespérée. « Plus de 80 % des journalistes exilés n’arrivent pas à trouver du travail. »
« Humaniser les trajectoires »
Le reporter se déplace dans plus de trente-cinq pays pour couvrir des événements majeurs. Les attentats de Bruxelles, le mouvement des Gilets jaunes, les manifestations à Hong Kong, le camp de Diffa au Niger, et plus récemment le camp de Moria à Lesbos (Grèce).
En janvier 2019, il cofonde Guiti News, un média indépendant en ligne où des journalistes français et réfugiés travaillent en binôme « pour porter un double regard sur l’actualité ». Depuis un an, il est pigiste pour Arte et ne cesse de questionner les politiques migratoires en y apportant un regard différent, celui d’un journaliste réfugié.
« Je souhaite, à travers mes reportages, donner la parole à ceux qui ne l’ont pas et humaniser les trajectoires en suivant la situation de près. » Pendant le premier confinement, il est d’ailleurs le seul journaliste à vivre sur le camp de Moria à Lesbos, aux côtés des 20 000 réfugiés.
Filmer l’enfer en Europe
Pour filmer avec son smartphone, ce qu’il appelle « le camp de l’enfer » , il se fait passer pour un réfugié et suit les populations du camp pour dénoncer la réalité sur le sol européen. « Je ne voulais pas faire comme les autres journalistes, filmer les bateaux et rentrer chez moi. Mon objectif était d’aller plus loin et de montrer les conditions de vie. »
Ouest-France, Timothy GAIGNOUX. Publié le 14/12/2020
Le reporter d’Arte filme avec son smartphone des réfugiés du camp de Moria. | MORTAZA BEHBOUDI
Dans ses reportages, Mortaza Behboudi décrit une situation de guerre, presque apocalyptique. « Les réfugiés n’ont pas l’eau courante, ni l’électricité. Les femmes et les mineurs isolés vivent en insécurité. Il y a seulement une dizaine de médecins sur le camp. » Sans compter une procédure d’asile longue et interminable, qui pousse « des mineurs à se mutiler pour que leur dossier passe au-dessus de la pile. »
Le reporter dénonce le désengagement politique de l’Europe vis-à-vis de ces hommes et femmes qui ont fui la guerre et la persécution pour finalement se retrouver prisonniers sur cette île.
Ses va-et-vient à Lesbos l’ont poussé à coréaliser un documentaire avec la journaliste Laurence Monroe, intitulé Moria, par-delà l’enfer . Un regard sur Moria, cet « immonde bidonville » et sur ces sans-voix qui l’occupent, ces « oubliés de la crise du Covid-19 » aux récits pourtant remarquables.
Douarnenez, sa ville de cœur
Le journaliste a exposé ses photos lors du Festival de cinéma de Douarnenez. | OUEST-FRANCE
Invité à l’occasion du Festival de cinéma de Douarnenez en 2016, Mortaza Behboudi tombe amoureux de cette ville. « Je me sens ici chez moi. » Depuis, il y séjourne trois à quatre fois par an pour souffler un peu. Et Douarnenez le lui rend bien. Réfugié politique en France depuis quatre ans, il a été naturalisé français le 17 août 2020. « J’ai reçu la nouvelle à Douarnenez. Comme quoi, le destin. »
Éducation aux médias
À son arrivée à Douarnenez, il rencontre l’association Rhizomes qui expérimente des propositions autour de la diversité culturelle. Elle accueille des auteurs et des journalistes en résidence. Mortaza Behboudi intervient, lui, dans des écoles pour sensibiliser sur la liberté de la presse et les politiques migratoires. « Je raconte mon parcours, mon métier dans les zones de conflits et la manière dont j’ai vécu l’asile en France. Aujourd’hui, je veux donner aux autres ce que j’ai vécu. »
Évènements
Fin août, il a initié un lancer de cerfs-volants dans le ciel douarneniste pour les enfants réfugiés du camp de Moria. | OUEST-FRANCE
Le journaliste mobilise régulièrement les habitants de Douarnenez pour soutenir les réfugiés du camp de Moria. Fin août, il a organisé un lancer de cerfs-volants sur la plage du Ris pour les enfants réfugiés. Début octobre, il a créé un événement de soutien avec l’artiste peintre Michel Dilvit, qui a mis en vente ses toiles. L’argent récolté servira à créer une nouvelle école et acheter du matériel scolaire, après l’incendie qui a ravagé le camp de Moria dans la nuit du 8 au 9 septembre 2020.
Ouest-France, Timothy GAIGNOUX. Publié le 14/12/2020
